Chai d’œuvre
La couleur et certains arômes qui signent le caractère de l’Armagnac dépendent de la relation harmonieuse que l’eau-de-vie entretient avec le bois de chêne, pendant sa lente maturation en fût.
À la fin de l’hiver, lorsque la flamme de l’alambic s’est éteinte et que le serpentin a laissé filer la dernière goutte d’eau-de-vie blanche, toutes les pièces (nom donné aux fûts d’un peu plus de 400 litres) neuves sont pesées, estampillées à la craie et inscrites sur le registre — elles rejoignent les alignements paisibles et silencieux du chai. Ici, dans la pénombre et la quiétude de ce lieu charpenté, naissent des phénomènes surprenants.
Le vieillissement génère des échanges fructueux, certains disent « amoureux ». Lors du séjour de l’eau‑de‑vie en fût de bois jeune, la composition du chêne révèle des principes actifs qui affinent les couleurs, les arômes et les saveurs de l’Armagnac.
Pendant 6 à 24 mois, l’eau-de-vie absorbe tout ce que le bois a de meilleur à lui offrir. Principalement tanins et lignine, dont la qualité dépend à la fois du long séchage des merrains sur le parc du tonnelier et du brûlage du bois lors de la fabrication des fûts[1].
Grâce à cette alchimie, l’Armagnac acquiert sa couleur et des arômes boisés qui s’épanouissent avec le temps et affinent son tempérament.
Le précieux héritage du bois
Lorsque le bois jeune a transmis à l’eau-de-vie tout ce dont elle a besoin, l’histoire d’amour se poursuit dans des pièces dites « épuisées » qui ont déjà transmis couleurs et arômes. Ces fûts infidèles jouent le rôle de contenants poreux et permettent une circulation lente et continue de l’oxygène.
La circulation de l’air va progressivement faire évoluer les essences extraites du bois par l’alcool vers des parfums mêlés d’épices, de fruits et de caramel. À partir de 5, 10 ans d’élevage, l’Armagnac acquiert une couleur ambrée et fleure les notes de pâtisserie (vanille, épices douves, pruneau, abricot…). Les caractères se concentrent, le rancio apparaît (notes de fruits secs, amande, noix, noisette…) et la couleur acajou domine chez les eaux-de-vie de plus de 15 ans.
Dans la tranquillité des chais, entre ombre et lumière, l’Armagnac ne sommeille pas. Il fait fructifier le précieux héritage du bois pour enrichir sa nature au fil des saisons et devenir un authentique “chai d’œuvre”.
[1] Lien vers l’article sur la fabrication des fûts en Armagnac : Menuiserie du cœur (rubrique Un artisanat préservé)
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